RÉENCHANTEMENT COLLECTIF - Côme Di Meglio
Au cours d’une baignade en Méditerranée, tout près de Marseille, il découvre des planctons bioluminescents bercés par les vagues et tire de l’expérience un sentiment de plénitude, la sensation de faire un avec le vivant. Intitulée Réenchantement Collectif, la résidence de Côme Di Meglio rayonne d’ une énergie positive. L’ atmosphère se teinte de douceur, une joie presqu’enfantine colore chaque étape du processus de création et devient notre moyen de supporter incoercible. La lumière produite par des organismes vivants issue cette fois-ci de la souche Rattail et prélevée sur des poissons de grande profondeur nous éclaire soudain de l’intérieur et nous apaise. Que ce soit au laboratoire du FabLab, dans l’atelier de la fondation LAccolade avec les Bactéphanies – des œuvres apparitions sur laiton et cuivre – chacun de nous semble habité d’une force vitale décuplée. Est-ce cette couleur bleue verte incomparable et vibratoire qui nous subjugue ? Est-ce le fait qu’elle ne brûle pas, donc sans danger ? Est-ce le mystère qui l’entoure puisqu’elle ne se révèle vraiment qu’à la faveur de la nuit et de l’obscurité ?
Nous sommes plongés au fin fond des abysses, dans le secret de l’univers. Le travail de Côme Di Meglio consiste en un bouleversement de notre relation au monde de l’ordre d’une révélation mystique que je rapproche mentalement de la Conversion de Saint-Paul du Caravage, jeté à bas de son cheval par une lumière surnaturelle, divine. Nous sommes intimement éblouis, comme traversés d’une illumination cognitive et spatio-temporelle. La beauté de cette toile réside dans le contraste ombre/lumière, profane/sacré qui vient accentuer l’émotion du spectateur. La scène capture un instant trivial : la croupe du cheval dominant l’homme à terre. Il est frappant de constater que de tous temps le profane et le sacré sont enchevêtrés, les croyances populaires s’invitant sur les routes de pèlerinage, sujet de l’œuvre Debris Field de l’artiste autrichien Lois Weinberger durant la Documenta 14, récolte d’amulettes pieuses mêlées aux fétiches magiques provenant de la ferme familiale, vieille de six cent ans, au Tyrol, les figures grotesques et gargouilles des cathédrales, les basiliques construites sur d’anciens temples dédiés aux divinités antiques tel le mithraeum de la Basilique San Clemente à Rome. L’artiste, tel un émissaire, nous pousse à nous reconnecter à une mémoire collective, ancestrale, à retrouver un langage effacé commun à tous les humains, à tout ce qui vit sur terre et respire.
Dans l’ancienne chapelle privative de la fondation transformée en atelier et plongée dans l’obscurité, cinq personnes s’installent sur des chaises autour d’une vasque à laquelle elles sont reliées par un dispositif ingénieux. Il s’agit d’une ceinture renfermant une poche de liquide ensemencé de cyanobactéries bioluminescentes, muni d’une valve et d’un tube souple rejoignant le réceptacle circulaire. Cette ceinture va s’activer au rythme de leur souffle et pulser la lumière bleue, dessinant formes et figures au gré du partage des respirations. Pendant quelques minutes, nous éprouvons par bouffées entêtantes la soupe primordiale. Nous prenons conscience de notre responsabilité individuelle et collective dans le processus délicat. Nous nous entendons respirer et percevons la respiration des autres.
Cette attention inhabituelle à nous-mêmes et aux autres s’expriment aussi à travers les trois dîners enchantés d’hypnose, TransitionFOOD, que Côme Di Meglio a réactivés lors de cette résidence. Les invités partagent un repas concocté par l’artiste pour servir de support à une méditation, une hyper conscience, ponctué de temps de silence, conviant tous les sens et les souvenirs des uns et des autres. Assis autour d’une table, sous les dais d’une tente provisoire, dans une sorte de déambulation olfactive, gustative, visuelle, tactile, sonore, nous faisons forme, nous prenons forme, nous dessinons une nouvelle cartographie contraire au développement en flèche, pour s’inscrire dans un développement circulaire, notions mises au jour par Edouard Glissant. Ici tout échappe aux codes habituels de représentation, de convenances. Nous retrouvons une humanité qui mastique, croque, dont les ventres gargouillent.
L’exercice s’avère difficile pour certains, tant le lâcher-prise n’est pas courant dans nos sociétés occidentales où l’esprit et le corps sont généralement dissociés, voire opposés. Il nous renvoie immanquablement au cycle de la vie, jaillissante et mourante : nourriture, pourriture, transformation, transmission, transgression. Il nous faut accepter les contradictions, dans un jeu permanent décrit par Edgar Morin de la pensée complexe, être capable de reconnaître notre multiplicité iridescente qui est le mouvement même de la vie. Avec Côme Di Meglio, nous choisissons de luire dans la nuit plutôt que nous éteindre, dans l’émerveillement et le miracle de la connaissance, surprenante, inattendue, infinie.
CATHERINE DOBLER
Restitution de résidence
©MartinArgyroglo