LA LUMIÈRE ET LE MOUVANT - Nadia Merad Coliac

La Fondation LAccolade continue son exploration du Vivant. Notre résidente, Nadia Merad Coliac, artiste chercheuse travaillant à Marseille, s’intéresse aux organismes vivants qui produisent leur propre lumière, à la bioluminescence, plus précisément, celle générée par des bactéries. Photobacterium Phospho- reum Antares 2200 isolée par l’Institut d’Océano- graphie de Marseille et Rattail-1 d’après le nom éponyme du poisson qui la sécrète, isolée par le chercheur Marcel Koken (LABOCEA CNRS) vont être comparées en termes de qualité optique, de durée de vie et de conditions de température idéales pour leur croissance. Ces souches de bactéries bioluminescentes ont été mise en culture à Paris dans le laboratoire chimie-biologie du FabLab Université Sorbonne, un espace collaboratif ouvert aux étudiants, aux artistes, aux entrepreneurs.

Nous pénétrons avec Nadia dans l’univers fascinant des chercheurs et dans le mystère des grandes profondeurs, là où les grenadiers vivent dans une obscurité totale et à des températures glaciales. C’est en découvrant les ouvrages d’un scientifique oublié que Nadia a été littéralement hypnotisée par la bioluminescence. En 1914 sort le livre à couverture bleutée de Raphaël Dubois sous le titre intrigant La Vie et la Lumière. Divisé en trois parties, l’auteur étudie la production de la lumière par les êtres vivants, leur action sur eux-mêmes et ceux qui les entourent, les propriétés physiologiques, thérapeutiques et pratiques de la lumière froide qui «ne s’éteint ni par le vent ni par la pluie et ne saurait produire d’incendie», la luminescence étant l’opposé de l’incandescence.

Raphaël Dubois produira des lampes vivantes éclairant toute une salle du Palais de l’Optique, lors de l’Exposition Universelle de 1900. «La lumière était aussi vive que celle d’un beau clair de lune.». Si cette lumière présente l’avantage d’éviter l’explosion dans les poudrières, dans les mines sous la menace permanente du grisou, un sujet à l’époque, dans un contexte qui se prépare à la guerre, son intensité reste faible, ténue, fragile. Mais elle est éminemment poétique, voire énigmatique.

L’invention de Raphael Dubois, sa contribution remarquable aux avancées scientifiques sera emportée à la lueur funeste des éclats d’obus de la grande guerre, le chercheur banni de l’histoire en raison de ses convictions pacifistes. Raphaël Dubois défend la vie et les vivants, lorsque ses con- temporains aspirent à en découdre. Ce n’est pas pour rien qu’il met au point l’anesthésie. Sa lumière froide extraite des abysses est indissociable de la vie. Associant Matière et Force, il rassemble sous le terme de Protéon «le caractère essentiellement changeant de cet être unique qui, par d’incessantes et innombrables métamorphoses, donne à la Nature sa merveilleuse et infinie variété d’aspects. Pour cela, il n’est nécessaire de faire intervenir aucune création, aucune destruction, mais seulement des métamorphoses.». Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Qu’est-ce que la vie ?

La question de la Vie hante l’artiste Nadia Merad Coliac. Si la bioluminescence exerce sur elle une telle fascination c’est qu’elle y décèle le rayon- nement des âmes disparues. La lumière circule là où le vide existe. L’action de l’enzyme propre aux organismes lumineux, Luciférase qui provoque l’émission de lumière en catalysant l’oxydation de Luciférine selon les termes choisis par Raphaël Dubois pourrait en être la parfaite métaphore. La lumière circule là où le vide existe. L’action de l’enzyme propre aux organismes lumineux, la Luci- férase, provoque l’émission de lumière en catalysant l’oxydation de la Luciférine selon les termes forgés par Raphaël Dubois pourrait en être la parfaite métaphore. Chez Nadia, ceux qui portent la lumière (lux-ferre) se nomment Josette ou Dalila. La bioluminescence est un projet de mémoire. Les défunts sont des passeurs de lumière. La matière rayonne, vivante ou inerte, toujours mouvante, sensiblement émouvante. Dans l’atelier du maître- verrier Guillaume Thoraval, Nadia Merad Coliac souffle le verre borosilicaté, exhale l’oxygène si essentielle au processus de luminescence, son propre oxygène. Les sculptures qu’elles fabrique, dont la forme évoque Air de Paris de Marcel Duchamp, seront ensemencées de lumière bleue.

Pour éprouver cette lumière, il faut d’abord s’acclimater à l’obscurité car comme le soleil, elle aveugle tout autant. A l’intérieur de nos iris, les pupilles se dilatent, comme le diaphragme des appareils photo, nécessaire temps d’adaptation de nos regards plongés dans le noir. La vue durant un vague instant est troublée, notre équilibre, perturbé. Nous quittons le jour pour embrasser la nuit. Et dans cette nuit, ce qui luit doucement est bleu, parfois presque vert, d’une intensité vibrante, inouïe, inoubliable, surnaturelle. C’est la vibration de la vie, ce que Jules Michelet nomme «l’infini du vivant», un laboratoire naturel méconnu et symbiotique, dans lequel viennent puiser sans relâche les chercheurs et qui ne cesse pas de nous surprendre.

Maintenant que nous avons appris à poser les yeux sur l’entour qui nous nourrit et dont nous devons prendre soin, que nous ne cherchons plus à décrocher la lune, cette lueur des abysses est une lueur d’espoir, celle d’un futur en connaissance de cause.

CATHERINE DOBLER

Restitution de résidence

© Martin Argyroglo