La Vie Enchevêtrée

Art entrelacé et tissé - Formes et métaphores du vivant

La Vie Enchevêtrée

Art entrelacé et tissé - Formes et métaphores du vivant

L’exposition La Vie Enchevêtrée intervient en conclusion de la deuxième saison de résidences de recherche et de création de la Fondation LAccolade – Institut de France. Le titre La Vie Enchevêtrée fait référence à l’ouvrage de Merlin Sheldrake The Entangled Life. Nous voulons lui emprunter la formidable énergie qui s’y déploie, à l’instar du mycélium et des champignons qui interfèrent avec les plantes, les arbres, la forêt et dont les comportements sont étudiés par l’auteur, explorant ainsi les possibilités que nos destinées soient dépendantes d’une intrication vitale. D’autres espèces, notamment microscopiques et tous les règnes, végétal, animal, bactérien, fongique, voire minéral, influencent nos corps et notre esprit. Pour la plupart à notre insu, des échanges et des résistances s’organisent afin de ne pas mettre en péril la matière vivante et respirante, chaque organisme contribuant au tissage d’une trame extrêmement sophistiquée, au-delà de notre entendement actuel.

C’est l’histoire prodigieuse du vivant avec ses influences réciproques et cruciales dans l’équilibre des écosystèmes. Micro-organismes, bactéries, mycélium, plantes se développent les uns avec les autres en s’entremêlant, nouant des liens ou au contraire, cherchant à s’en extirper. C’est ici même le mouvement de la vie : un processus vital dans toute sa complexité qui se tisse, avec ses accidents, ses points d’hésitation, de timidité ou de non-retour. Quelle plus parfaite métaphore que l’art textile longtemps considéré comme mineur pour exprimer ces forces à l’œuvre, les interconnections qui se nouent et se dénouent ? Sous les doigts des artistes que nous avons choisis d’inviter en résidence, la plante devient fil puis se tricote pour former des sculptures en maille colorée à la manière des rhizomes de l’ortie chez Luz Moreno Pinart, la fibre végétale du lin se tresse en chevelures plus vraies que nature, les champignons de velours de soie envahissent les murs chez Élodie Antoine. Le collectif péruvien FIBRA, dernier invité de notre saison, pourrait incarner à la fois par son nom et dans son propre mode de fonctionnement le thème lui-même : trois artistes, Gabriela Flores del Pozo, Lucia Monge et Gianine Tabja, produisent une œuvre collaborative, et même selon leurs dires, performative, leurs liens amicaux et artistiques devenant un des matériaux de leur recherche.

Pour cette exposition, nous avons convié d’autres artistes travaillant aussi avec le textile. Texte et textile proviennent de la même racine grecque. Les créations de Laura Bartier, Amy Gross, Janaina Mello Landini, Élise Péroi, Brankica Zilovic Chauvain, disséminées dans l’espace d’exposition viennent alimenter un récit vivant, un texte et un arrière-texte formels, esthétiques, signifiants.

Le choix de l’espace d’exposition, Wilde, adossé à l’Église Saint-Gervais, à deux pas de l’Académie du Climat est un heureux hasard. Lieu de rencontre et d’exposition, Wilde partage avec la Fondation LAccolade la même volonté de se développer organiquement suivant le principe de sérendipité.

Enfin, c’est sous le regard bienveillant de l’Institut de France que la Fondation LAccolade progresse sur les chemins de l’expérimentation, selon les mots de son chancelier Xavier Darcos : «ce roc qu’il n’a cessé d’être depuis sa fondation et qui tempère l’accélération du temps par l’éternité vivante du savoir. Plus encore, il est le signe d’une culture qui, loin d’être figée, irrigue et féconde, une société à laquelle elle redonne le goût du débat, la mesure de la raison et la sagesse de la connaissance.»

Si nous avons longtemps assimilé le principe d’évolution à une conquête, induisant des gagnants et des perdants, des forts et des faibles, l’expérience de ces deux dernières années aura eu le mérite de nous rapprocher du principe d’involution tel qu’il est défini par Natasha Myers et Carla Husbak. Dérivé du mot anglais « involve », il met en lumière notre capacité à nous impliquer malgré les sentiments mitigés attraction/répulsion, familier/inconnu, vie privée/vie publique, dans le raccommodage d’un tissu social, dans la reconstruction d’un oïkos (racine grecque du mot écologie) où toutes les espèces sans discrimination seraient conviés à une fête symbiotique.

Auteurs et artistes ont longtemps cru créer sous leur autorité absolue. C’était sans compter sur l’apport de nouvelles théories, comme l’intertextualité née dans les années 60 ou celle d’Édouard Glissant, Poétique de la Relation, montrant l’importance de liens invisibles qui se nouent, s’entrelacent, comme le mycélium dans la forêt, des amitiés artistiques, des réseaux d’expertise et des réseaux sociaux, des communautés savantes, auteur/lecteur, artiste/spectateur, dans une dynamique continue de production de l’œuvre. Une sorte de larsen, de bourdonnement parfois exaspérant et pourtant vital se dessine en toile de fond : La Vie Enchevêtrée.

CATHERINE DOBLER - Fondatrice

Du 17 au 30 novembre 2022, WILDE, 4 rue François Miron, 75004 Paris.

Vues de l’exposition

photographies Martin Argyroglo